Le canal de Suez retrouve sa navigabilité totale, après l'échouement du porte-conteneurs EVER GIVEN (29.03.2021)
|
Comme on le voit sur la photo ci-contre (© ACS), le porte-conteneurs EVER GIVEN (deuxième du nom, un premier datant de 1986 et portant l'IMO 8320901 a été démoli en 06.2009) a pu enfin être remis à flot le 29.03.2021 vers 15h00 (heure locale) dans l'axe du canal de Suez, lequel retrouve ainsi toute sa navigabilité, après six jours de blocage. Mais, avant de donner plus de détails, revenons sur cet accident heureusement peu courant. Ce porte-conteneurs — affecté à la ligne CEM / Chine-Europe-Méditerranée et desservant les ports de Kaohsiung (Taïwan) / Qingdao - Shanghai - Ningbo (Chine) / Taipei (Taïwan) / Yantian (Chine) / Tanjung Pelepas (Malaisie) / Rotterdam (Pays-Bas) / Felixstowe (Grande-Bretagne) / Hambourg (Allemagne) — faisait route de Tanjung Pelepas à Rotterdam, via le canal de Suez. Ce navire est récent (en service depuis le 25.09.2018) et fait partie d'une série d'une douzaine de navires construits par le chantier japonais Imabari entre 10. 2017 et 10.2019 (cf. infra). |
 |
L'EVER GIVEN avait embouqué le canal de Suez le 23.03.2021 dans le sens Northbound quand, arrivé au Sud du Grand Lac Amer (vers 08h00 "local time"), il s'est soudainement mis en travers du canal, ensouillant profondément son bulbe d'étrave dans la rive Arabique dudit canal. Il se trouvait alors à environ 6 NM (soit environ 11 km) de l'entrée Sud du canal, côté Suez donc. L'enquête déterminera la cause exacte de cet accident aussi rare que spectaculaire, mais la météo est sans doute l'une des raisons : le vent soufflait fort, avec des raffales de 30 à 40 nd qui ont un impact important sur un navire ayant un tirant d'air d'environ 60 m, et une tempête de sable — courante à cette époque de l'année — balayait le canal au moment de l'accident, diminuant la visibilité. Notons que, pour tous les navires traversant le canal, la présence à bord d'un "pilote du canal" est obligatoire durant la dizaine d'heures que dure la traversée (plusieurs pilotes de l'ACS se relaient). Ce "20 000 boîtes" (il n'en avait "que" 17 000 à bord environ au moment de son échouement) de 400 m de long bloquait complètement le canal, interrompant le trafic dans les deux sens (ayant moi-même emprunté ce canal en 2006 et 2007, j'ai eu l'occasion d'expliquer ici la réglementation de cette voie d'eau artificielle que l'on doit à Ferdinand de Lesseps et qui a été partiellement remanié en 2015). Heureusement ni blessé, ni pollution, mais urgence à débloquer le canal : en attendant, les très nombreux navires (porte-conteneurs, pétroliers, gaziers, vraquiers, etc.) devant l'emprunter doivent mouiller en Méditerranée (côté Port Saïd) et en mer Rouge (côté Suez). Les sociétés néerlandaise Smit Salvage (Groupe Boskalis) et japonaise Nippon Salvage sont missionnées par l'armement japonais Shoei Kisen (propriétaire du navire) pour deséchouer le PC. Les opérations sont évidemment menées en collaboration avec l'ACS (Autorité du Canal de Suez, plus connue sous son nom anglais Suez Canal Authority / SCA) et l'armement taïwanais EMC (Evergreen Marine Corp.) qui opère le PC. Les premiers essais de remorquage n'ayant pas abouti (malgré les nombreux remorqueurs du canal mobilisés), les experts arrivés sur place le 26.03 décident de faire draguer le canal et les rives emprisonnant la proue et la poupe du PC. C'est ainsi que 30 000 m3 de sables et de roches seront déplacés et le sol dragué jusqu'à 18 m de profondeur pour libérer le PC (deux dragues et des pelleteuses ont été mobilisées à cet effet). Le 28.03 à 14h00 (heure locale), l'hélice et le gouvernail du navire sont totalement dégagés et semblent pleinement fonctionnels. Puis, profitant du flot de la marée d'équinoxe de printemps, ce sont pas moins de 11 remorqueurs portuaires et 2 remorqueurs de haute mer (plus puissants) (1) qui ont réussi à tirer l'EVER GIVEN de sa fâcheuse position et à le remettre dans l'axe du canal (le PC ayant retrouvé sa flottabilité), sans qu'un coûteux et compliqué (à cet endroit) déchargement partiel de conteneurs n'ait dû être effectué. Le canal de Suez retrouvait alors toute sa navigabilité (environ 50 navires l'empruntent chaque jour). |
(1) Les deux remorqueurs océaniques sont le néerlandais ALP GUARD (IMO 9398539 / Rotterdam / ALP Maritime Services, Rotterdam, Pays-Bas / 74,36x18,50x9,5 m / TE 8,255 m / JB 3 732 / JN 1 119 / PL 3 587 t / Ptot 18 000 kW - 4 moteurs 4T-9cyl MaK-Caterpillar 9M32C - 2 hélices à pas variable / V 17 nd / Traction au croc 306 t / Constr. 10.2009 - Muetzelfeldtwerft, Cuxhaven, Allemagne / Pav. NLD / Ex URANUS 10.2009-02.2015 / Sistership : ALP CENTRE / IMO 9398541 / 05.2010), qui était déjà sur site, et l'italien CARLO MAGNO (IMO 9341251 / Naples / Augustea Maritime, Milan, Italie / 55,40x15,50x7,50 m / TE 6,20 m / JB 1 658 / JN 497 / PL 1 907 / Ptot 8 000 kW - 2 moteurs 4T-8cyl Wartsila 8L32 - 2 hélices à pas variable / V 15 nd / Prop. d'étrave (2 x 350 kW) / Traction au croc 152 t / Constr. 03.2006 - Rosetti Marino, Ravenne, Italie / Pav. ITA), arrivé de Dubaï (Emirats Arabes Unis). |
C'est donc le 29.03 en milieu d'après-midi que l'EVER GIVEN a pu reprendre sa navigation, rejoignant le Grand Lac Amer où il va être inspecté pour enquête sur les causes exactes de l'accident et pour s'assurer de son bon état de fonctionnement afin qu'il puisse poursuivre son voyage. Les convois Northbound et Southbound ont pu être reformés et la navigation quasi normale reprendre ainsi progressivement sur le canal (on rappelle que les navires ne traversent le canal qu'en convois car il n'est à double sens que sur environ un tiers de sa longueur). Avec 446 navires bloqués (porte-conteneurs, pétroliers, méthaniers, vraquiers, etc.) — d'un côté ou de l'autre du canal, plus quelques dizaines mouillés dans le Grand Lac Amer, près d'Ismaïlia — durant ces six jours de non-navigabilité, cela demandera plusieurs jours (au moins 4 ou 5 selon l'Autorité du Canal de Suez) avant que le trafic redevienne normal sur le canal de Suez (en fait, tout est redevenu normal le 03.04.2021). A noter que certains armateurs avaient préféré dérouter leurs navires par le Cap de Bonne-Espérance, mais cela implique un détour d'au moins 8 200 km - cf. carte - et environ dix jours supplémentaires de navigation autour du continent africain. Bien sûr, même le trafic du canal redevenu normal (cette voie de navigation concentre environ 11 % du commerce maritime mondial ; près de 19 000 navires ont emprunté le Canal de Suez en 2020 selon l'ACS), ces six jours de blocage auront une autre conséquence : une congestion des ports d'accueil des navires, avec de nouvelles pertes financières pour les chargeurs et les armateurs, sans parler des retards de livraison qu'auront à subir les destinataires des marchandises conteneurisées (de nombreuses usines européennes sont impactées par les retards de livraison de pièces). Les divers assureurs, à tous les niveaux, vont avoir du travail… Si "l'avarie commune" était retenue par exemple, tous les frais de sauvetage (au sens large), mais aussi toutes les pénalités de retard de livraison des conteneurs (pour l'EVER GIVEN, mais aussi pour les autres navires retardés par l'incident) seraient solidairement répartis entre le propriétaire du navire, les chargeurs (via leurs assureurs) et probablement l'ACS dont les pilotes guident les navires durant toute la traversée du canal comme on l'a déjà dit. Encore heureux que le PC n'a pratiquement pas souffert (il est toujours mouillé dans le Grand Lac Amer pour inspection et enquêtes sur la cause, voire les causes de cet incident : météo donc, mais peut-être aussi avarie machine ou barre, erreur humaine, etc. ?). De plus, si aucun conteneur n'a été perdu, il n'en sera peut-être pas de même pour certaines marchandises transportées par l'EVER GIVEN mais aussi par tous les autres navires retardés, et le bilan financier devra en tenir compte… Un tel accident fera t-il réfléchir les armateurs sur le bien-fondé ou non du "toujours plus grand" qui entraîne une prise au vent des navires de plus en plus grande, leur manœuvrabilité de plus en plus délicate et des infrastructures (ports, canaux, écluses, ponts) pas toujours adaptées à ce gigantisme croissant (sans compter sur des moyens de sauvetage pas forcément aussi performants face à ces navires géants). De son côté, le gouvernement égyptien et l'Autorité du Canal de Suez, forts de cette malheureuse expérience, envisagent d'ores et déjà l'acquisition de remorqueurs ayant une traction au croc beaucoup plus importante, voire un nouvel élargissement ou un doublement partiel du canal, afin d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise (selon l'ACS, l'Égypte perd entre 12 et 14 millions de dollars par jour de fermeture du canal) — Photos ACS. |
EVER GIVEN (Panama) - IMO 9811000 - Indicatif d'appel H3RC - MMSI 353136000 - Porte-conteneurs - 399,94x58,80x32,90 m - TE 16,00 m - JB 219 079 - JN 99 155 - PL 199 489 t - P 59 300 kW (mot. 2T-11cyl MAN-B&W-Mitsui 11G95ME-C9 / hélice à pas fixe) - V 22,8 nd - Prop. d'étrave (2 x 2 500 kW) - Générat. aux. 4 x 4 600 kW - Cap. 20 388 evp (dont 1 500 reefers) / 23 rangées de conteneurs - Scrubber installé d'origine - Certifié Green Passport - Constr. 09.2018 (Imabari Shipbuilding, Marugame, KG, Japon) - Propr. Shoei Kisen (Imabari, Japon) - Gérant Higaki Sangyo (Imabari, Japon) - Opérat. Evergreen Marine Corp. / EMC (Taipei, Taïwan) - Pav. PAN. Sisterships : EVER GENIUS (IMO 9786815 / 08.2018) - EVER GENTLE (IMO 9820922 / 03.2019) - EVER GIFTED (IMO 9786827 / 12.2018) - EVER GLOBE (IMO 9786841 / 09.2019) - EVER GLORY (IMO 9786839 / 05.2019) - EVER GOLDEN(IMO 9811012 / 03.2018) - EVER GOODS (IMO 9810991 / 06.2018) - EVER GOVERN (IMO 9832717 / 07.2019) - EVER GRADE (IMO 9820855 / 01.2019) - EVER GREET (IMO 9832729 / 10.2019) - MOL TREASURE (IMO 9773222 / 01.2018) - MOL TRUTH (IMO 9773210 / 10.2017). |
|